Économie circulaire : le COTEE éclaire et challenge la stratégie du groupe La Poste
L’économie circulaire consiste à rompre avec le modèle de l’économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter) pour produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources ainsi que la production de déchets.

Elle repose sur de nouveaux modes de conception, de production et de consommation, ainsi que sur le prolongement de la durée d’usage des produits, la réutilisation et le recyclage des composants.
Le groupe La Poste est déjà partie prenante de l’économie circulaire. Grâce à son maillage territorial dense, il est bien placé pour "capter" les matières valorisables produites par ses clients. Le groupe a ainsi développé des solutions logistiques circulaires, avec notamment Hipli.
, qui s’appuie sur la tournée du facteur pour collecter les déchets de bureau des petits sites. En matière d’emballages, le Groupe innove également pour développer l’usage d’emballages réutilisables dans le cadre du e-commerce, en partenariat avec les fabricants, comme par exempleLe modèle économique de la circularité se heurte toutefois à certaines limites aujourd’hui. Par exemple, il y a souvent une tension entre le prix bas des objets neufs et le coût élevé de la réparation ou du reconditionnement de ces objets, lié notamment à la main d’œuvre nécessaire pour y parvenir.
Pour enrichir la réflexion stratégique du Groupe La Poste, le COTEE s'est ainsi réuni pour échanger sur le rôle que le Groupe pourrait jouer pour accélérer la transformation vers une économie circulaire et les facteurs clés de succès.
Une économie circulaire encore en devenir
Les membres du COTEE partagent le constat d’un côté, d’une actualité politique et réglementaire qui donne des signaux positifs en faveur de l’émergence d’une économie circulaire, de l’autre, d’une inertie du système encore très prégnante.
La loi AGEC élève le niveau d’exigence et bouleverse fondamentalement les équilibres économiques. Elle va avoir une véritable influence à la fois sur l'organisation des industries et sur la logique financière des éco-organismes. L’ensemble des acteurs, les éco-organismes, les collectivités locales, les producteurs sont profondément déstabilisés.
Au niveau national, le concept d’économie circulaire a officiellement fait son entrée en 2015, dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte. En 2020, le gouvernement a adopté la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi « AGEC »), avec pour objectif d’accélérer le changement de modèle de production et de consommation. Cette loi ambitieuse entraine des changements profonds dans le secteur.
La nouvelle Présidence française du Conseil de l’Union européenne ainsi que l’arrivée au pouvoir des Verts en Allemagne vont sans doute accélérer le mouvement.
Si le contexte règlementaire semble globalement favorable à l’évolution vers une économie circulaire, les participants au COTEE évoquent toutefois un empilement de lois et de réglementations, sans forcément de sanctions à la clé, ainsi qu’une politique publique et des filières encore très centrées sur le recyclage et peu sur la réparation ou le réemploi.
De l’avis de Lucile SCHMID, le modèle actuel dans son ensemble doit encore évoluer: "Une des difficultés de l’économie circulaire, c'est qu’aujourd’hui on reste concentré sur la question de la collecte, du tri, et du déchet, plus que sur l’idée de réparation, de réutilisation ou de réemploi des objets."
Il existe tout une série de réglementations depuis 2015. En revanche, il n’y pas vraiment d’impact pour ceux qui ne les appliquent pas. L'exemple des déchets de bureaux parle de lui-même : 80% de ceux qui devraient les faire recycler dans une filière à part ne le font pas et passent par la collecte municipale.
Par ailleurs, pour Anne-Catherine Husson-Traore, si l’économie circulaire n’est pas toujours viable aujourd’hui, c’est parce qu’elle suppose des changements massifs de logistique et d’organisation. Cela expliquerait en grande partie la difficulté de La Poste à trouver des modèles économiques rentables.
La complexité de sortir des schémas habituels pour mettre en place des modèles durables entraîne une inertie phénoménale. Cela explique pourquoi aucun business model n’a encore véritablement émergé.
Quel rôle de La Poste pour faire advenir une véritable économie circulaire et quelles clés de réussite ?
L’économie circulaire concerne tous les acteurs de la société : citoyens, collectivités locales, administrations, entreprises, associations... La Poste a une position privilégiée dans cet écosystème. Les experts du COTEE invitent donc le Groupe à s’appuyer sur ses atouts pour trouver sa place dans l’économie circulaire : du fait de sa proximité territoriale, de son lien fort avec les consommateurs, ou encore de la confiance qu’elle inspire à de nombreux acteurs, La Poste est en capacité de porter des services à valeur ajoutée ainsi que le changement culturel nécessaire à la mise en place de la transition circulaire.
Martin Serralta souligne en particulier la légitimité naturelle de La Poste, de par sa proximité territoriale et par l’évidence que le trajet retour après la livraison d’un colis puisse servir à reprendre des objets.
Cette configuration présente aussi l’avantage symbolique de créer une dynamique distincte de la collecte sélective des déchets permettant de donner de la « valeur » aux retours de produits usagés (emballages et autres matériaux ou objets).
"Pouvoir agir immédiatement pour mettre à disposition un objet ou avoir des solutions réelles très valorisées pour accéder facilement à des produits de seconde main serait un positionnement radicalement différent."
C’est très différent de remettre son smartphone dans une poubelle ou un bac de tri associé mentalement au fait de jeter, comme l’on jette sa boite de pizza ou son récipient de lessive, ou d’avoir une collecte valorisée, spécifique pour des éléments qui seraient récupérés de façon beaucoup plus qualitative.
Pour Lucile Schmid, La Poste est en mesure d’aller encore plus loin. Elle invite le Groupe à s’emparer du sujet du réemploi, de la réparation et de la réutilisation des objets. Elle suggère par exemple à La Poste de contrer le discours de certains opérateurs téléphoniques, qui incitent les consommateurs à changer régulièrement de smartphone. Cette contre-communication permettrait de lutter implicitement contre l’obsolescence programmée et d’accompagner un véritable changement des mentalités.
De son côté, Anne-Catherine Husson-Traore évoque le rôle pédagogique que La Poste pourrait avoir sur le bénéfice du recyclage, en particulier des
ou du textile, secteurs dans lesquels des problématiques environnementales extrêmement fortes se posent.Le lien entre récupération des déchets et économie circulaire reste à construire pour l’usager. À l'exception des piles, les réflexes ont été très peu créés. Il existe un défaut de pédagogie à ce sujet. Les messages ne sont pas clairs et le consommateur est souvent culpabilisé.
Elle insiste également sur le fait que si la réglementation reste peu coercitive, l’incitation peut venir du marché : en effet certains acteurs, même s’ils y ont un intérêt économique, sont ainsi en train de "rendre désirables" les nouveaux usages comme le reconditionnement d’appareils électroniques. Lucile SCHMID évoque également que la loi, qui constitue une avancée positive, n’aborde pas suffisamment la question du recyclage et du reconditionnement par le côté "désirable" et pratique.
Enfin, les experts du COTEE prévoient un renversement des modèles économiques qui devrait avoir lieu assez rapidement. Sur les équipements électroniques par exemple, la rareté des métaux va obliger les acteurs à améliorer la valorisation et/ou à se tourner vers des solutions alternatives.
"Les filières d'approvisionnement classiques sont en train de se tarir parce que d'un côté, la demande explose et de l'autre côté, les ressources ont été exploitées de façon de façon drastique. Donc dans quelques années, la récupération deviendra moins coûteuse que l'exploitation brute". Martin SERRALTA.
Enfin, une opportunité importante soulignée par le COTEE est le rôle que pourrait jouer La Poste comme intermédiaire, pour organiser la mise en relation de l'ensemble des acteurs de l'écosystème.
Le côté public de La Poste en fait un acteur de confiance. Pour cette raison, elle peut jouer un rôle d’intermédiaire. Elle pourrait par exemple organiser une filière concernant les déchets liés au bâtiment, en mettant en relation les acteurs qui souhaitent devenir plus durables.
Un rôle similaire d’intermédiaire a été endossé par l’association Orée dans la
, dont La Poste est d’ailleurs membre.Patricia Savin, Présidente d’Orée, souligne qu’à ce jour, les points relais traitent les vêtements domestiques mais pas les vêtements professionnels qui sont de très bonne qualité. Orée a joué un rôle de facilitateur pour mettre autour de la table tous les acteurs concernés.
Au sujet des vêtements professionnels, elle donne des pistes inspirantes pour La Poste.
Nous avons réussi à démontrer la viabilité et la faisabilité de cette filière économique. Il faut maintenant passer à l’étape supérieure de massification. L’éco-conception est essentielle, encore faut-il qu’il y ait cette impulsion des achats.
Avec sa politique d’achats, elle pourrait par exemple créer un effet d’entraînement en imposant à ses fournisseurs un cahier des charges, partagé avec tous les acteurs, pour créer des vêtements éco-conçus. Elle peut également fournir tous les vêtements de ses agents afin d’atteindre une masse critique et ainsi parvenir à un modèle économique rentable. Et ce modèle pourrait être dupliquable sur d’autres filières que les vêtements.
Enfin, Patricia Savin fait remarquer qu’il existe une corrélation forte entre économie circulaire et ESS (Economie Sociale et Solidaire). Dans l’expérimentation menée par Orée, le recours aux acteurs de l’ESS a concrètement permis d’améliorer le modèle économique et de s’inscrire dans une démarche globale. Comme l’explique Géraud Felgines, la Poste travaille déjà avec ces acteurs.
Nous sommes en lien avec les acteurs de l’ESS pour sensibiliser les citoyens, trouver des moyens de collecte économiquement intéressants et apporter des solutions industrielles.
Lucile Schmid souligne que dans le cadre de la loi AGEC, l’ESS a mené un véritable travail sur les fonds de réparation ou encore sur la question de l’écoconception. « Se pose la question de la massification de l’action de l’ESS. La Poste pourrait avoir pour rôle d’accompagner cette structuration. "
Conclusion
Nous sommes déjà un acteur, mais nous ne sommes pas un initiateur. Je retiens des interventions qu’il y a beaucoup de choses à faire, mais aussi des choses à faire savoir, car nous faisons déjà beaucoup sans le dire.
À mon sens, La Poste a un rôle dans le fait de populariser l’usage par tous. Pour cela, nous devons nous approprier cette position dans la chaîne de valeur. Cela me paraît accessible et on l’a vu par exemple pour les emballages réutilisables. » Philippe DORGE Directeur général adjoint du Groupe La Poste, en charge de la Branche Services Courrier Colis.
L’économie circulaire implique de changer radicalement de modèle. Le COTEE invite La Poste à prendre la pleine mesure de son rôle, en s’affirmant comme un partenaire privilégié de l’écosystème (éco-organismes, industriels, ESS, collectivités, etc.).