Publié le 15 juillet 2019

Numérique : rendre plus efficace l’action publique grâce au self data

En lançant le self data territorial, La Rochelle veut rendre leurs données personnelles aux habitants. Ils pourront alors choisir de les utiliser pour eux, mais aussi de les partager et de contribuer à la connaissance du territoire. Décryptage par Virginie Steiner, administratrice générale des données à la Communauté d’Agglomération.

Des données personnelles qui servent le collectif

Quels sont les enjeux de la donnée pour les collectivités ?

Dans un contexte de marchandisation des données personnelles, les collectivités doivent avoir une vision à long terme et une fonction de sensibilisation auprès des citoyens, d’acculturation, ce qui n’est pas le cas des entreprises privées qui fondent souvent leur modèle économique sur l’exploitation des données (Waze, Google). Nous devons rendre un service public décorrélé du profit, au service des habitants. Nous ne devons pas laisser le champ de l’exploitation du patrimoine informationnel des individus aux seules entreprises privées. Ces données pourraient être utilisées pour construire des services publics plus adaptés à leur réelle utilisation par les habitants par exemple. La gouvernance des données personnelles sur un territoire, avec valorisation et protection de ces données, est donc un enjeu important pour les collectivités, qui doivent désormais prendre en compte la production et l’utilisation des données personnelles par d’autres acteurs que la collectivité. Nous devons donc anticiper.

Sur quels sujets les collectivités doivent-elles être vigilantes ?

Par exemple dans le domaine des mobilités, Waze, le navigateur GPS qui s’appuie sur les données fournies par les usagers de la route, se positionne du point de vue des utilisateurs auxquels il propose le plus court trajet entre un point A et un point B. Or, il ne respecte pas forcément le plan de déplacement urbain et les hiérarchies de voirie (zone 30 km/h, route nationale…). Et lorsque les axes importants sont congestionnés, le navigateur propose un délestage dans les zones résidentielles. A Lormont (33), la collectivité a dû réagir notamment  en ajoutant des feux rouges dans ces zones pour « agir » sur l’algorithme de Waze et limiter ce délestage. La récupération des données personnelles permet à la collectivité, non pas de les repartager à des tiers (impossible sans l’accord explicite de la personne et ce n’est pas le but du programme), mais de questionner son point de vue « spatial » d’aménageur public et d’agir sur son offre de mobilité, d’aménagement de la voirie pour faciliter les déplacements de tous ses usagers. Nous devons donc composer avec l’ensemble des intérêts particuliers des citoyens qui doivent être acteurs des projets de leur ville. Dans des villes de plus en plus façonnées par l’analyse des données, aider les usagers à maîtriser leurs informations personnelles est une première étape indispensable à une gouvernance territoriale partagée de ces données.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

L’arrêté d’occupation du domaine public est un jeu de données que l’on va ouvrir bientôt. Lorsque des habitants déménagent, un arrêté municipal est apposé dans la rue avec l’intégralité des données personnelles. Mais pour l’open data, ce n’est pas possible, or, les services d’urgence ont besoin de savoir qu’ils ne peuvent pas passer dans cette rue. Donc on va ouvrir deux jeux de données : un jeu accessible à tous avec les données anonymisées (on enlève les prénoms et noms et n° et rue) et un second jeu à accès restreint pour les services d’urgence, dans lequel on gardera le n° et la rue. Des conventions d’utilisation des données seront bien évidemment signées pour poser un cadre sécurisant sur l’utilisation de ces données par les pompiers par exemple.

En 2018, vous avez lancé l’expérimentation Self Data Territorial. De quoi s’agit-il ?

Le projet de Self Data Territorial est directement lié au projet Territoire zéro carbone » de La Rochelle à horizon 2040 [01]. Le but est que les individus, par les données qu’ils ont produites et récupérées, choisissent non seulement de les utiliser pour eux, mais aussi, sous leur contrôle, de les partager et de contribuer ainsi à la connaissance du territoire. Le citoyen a alors une nouvelle capacité d’action en participant à l’aménagement de la ville, aux décisions politiques… Mais nous allons travailler sur d’autres projets, de formation, d’éducation auprès de publics fragiles notamment. Pour une personne qui ignore ce sujet, il lui est difficile de comprendre et de se faire une opinion, d’agir, de décider. Il s’agit de ne pas renforcer la fracture entre ceux qui sont en position de préserver leur vie privée et les autres qui ne peuvent pas le faire parce qu’ils n’en maîtrisent ni les enjeux ni les techniques.

  1. (1)L’agglomération vient d’être officiellement présélectionnée dans le cadre de l’appel à projets « Territoires d’Innovation Grande Ambition » (TIGA). L’annonce des lauréats est attendue en septembre.

La gouvernance des données personnelles est un enjeu important pour les collectivités qui doivent désormais prendre en compte la production et l’utilisation des données personnelles par d’autres acteurs que la collectivité.

Virginie Steiner

Administratrice générale des données à la direction de la transformation numérique de la Communauté d’Agglomération de La Rochelle

Comment La Poste vous accompagne-t-elle sur le sujet ?

Dans le cadre de cette expérimentation, nous travaillons sur la thématique de la mobilité à 360°, donc comprenant les mobilités personnelles et professionnelles. L’idée est de permettre à un panel d’une cinquantaine de collaborateurs d’entreprises de l’agglomération, notamment des facteurs, qui travaillent en horaires décalés et dont le métier repose sur le déplacement de porte à porte, d’une part, de récupérer toutes leurs données de mobilité (train, avion, piéton, vélo, voiture, bateau, etc.) pour en faire ce qui a du sens pour eux. D’autre part, leur permettre de calculer leur empreinte carbone et de partager ce résultat avec l’agglomération. Leurs données sont stockées dans un entrepôt sécurisé et l’agglomération n’y accède pas.

Concrètement, comment allez-vous utiliser ces données partagées ?

Dans un second temps, il sera peut-être possible de mettre en commun toutes ces données pour questionner l’offre de mobilité du territoire et pourquoi pas développer une application qui proposerait les trajets et les moyens de transport les plus pertinents, en fonction du paramétrage choisi : aller vite, polluer moins, faire des économies. Tout cela sans risque de voir leurs données utilisées à leur insu, puisque le cadre d’utilisation est sécurisé. Chaque personne qui le souhaite, aura la possibilité de mixer ces données entre elles, de les croiser avec d’autres informations récupérées ailleurs ou de les partager avec d’autres, dans le but d’inventer de nouveaux usages. Cela nous semble aller de soi. Nous savons que la question de la protection des données est une priorité pour La Poste.

Le RGPD en clair

Le Règlement Général sur la Protection des Données est entré en vigueur en mai 2016. Est concernée toute entreprise ou organisation qui traite des données personnelles relatives à des personnes physiques (clients, collaborateurs…). Le règlement fixe l’obligation d’appliquer des principes protecteurs lors du traitement de données personnelles. Ce règlement renforce les obligations qui existaient déjà dans la loi de 1978, mais les sanctions sont beaucoup plus importantes et de nouveaux droits sont créés, par exemple le droit à la portabilité (récupération d’une partie de ses données pour les stocker ou les transmettre en vue de leur réutilisation à des fins personnelles). De nouvelles obligations s’imposent aux responsables de traitement (registre de traitement par défaut, accountability (preuve), délai de réponse, etc.).