Publié le 8 septembre 2021

Finance durable : le COTEE éclaire et challenge la stratégie de La Banque Postale

Accoler banque et environnement peut ressembler à un oxymore… mais les banques sont au carrefour de l’économie. Elles ont un rôle systémique. S’agissant de l’environnement, elles ont la capacité de « filtrer » ce qu’elles collectent et ce qu’elles financent. C’est la raison pour laquelle nous sommes fréquemment interpellés par des ONG et des parties prenantes. Mais cela pose de multiples questions.

Philippe Heim

Philippe Heim

Président du directoire de La Banque Postale, directeur général adjoint du Groupe La Poste

La Banque Postale, aux avant-postes de la finance durable, a dévoilé des ambitions très fortes dans son plan stratégique 2030. Un de ses objectifs est d’atteindre le Zéro Émission Nette (ZEN) pour l’ensemble de ses portefeuilles d’investissement et de financement à horizon 2040, soit 10 ans avant l’échéance fixée par l’Accord de Paris.

Pour enrichir la réflexion stratégique de la Banque Postale, le COTEE (Conseil d’Orientation Transition Énergétique et Écologique) s’est réuni virtuellement début juillet. Trois grands axes ont animé les débats.

Concilier engagements environnementaux, rentabilité et transition juste

Premier sujet majeur, la question des « exclusions » : pour tenir les engagements de son plan stratégique, notamment la neutralité carbone, la question se pose pour La Banque Postale de continuer ou non à financer les entreprises les plus polluantes, avec les conséquences économiques et sociales que cela peut impliquer pour l’ensemble des parties prenantes.

L’équation n’est pas simple,. Les membres du COTEE invitent donc La Banque Postale à se détacher de toute vision radicale et à privilégier l’accompagnement des entreprises engagées, en les aidant à financer leur transition écologique. Avec la nécessité de faire preuve de transparence pour expliquer sa démarche auprès des différentes parties prenantes (ONG, clients, grand public, etc.).

Il y a une dictature de l’ultra-radical. Je ne crois pas à une vision manichéenne du monde, avec d’un côté, les méchants pollueurs et, de l’autre, les ultra-vertueux. D’autant que cela stigmatise ceux qui voudraient aller vers une transition et qui ne sont pas encore matures. Il faut accompagner les structures en transition et être transparent sur les raisons de ce choix.

Patricia Savin

Patricia Savin

Avocate associée chez DS Avocats et présidente du réseau OREE

Exclure ou accompagner ? Il n’y a pas de bonne réponse à cette question. Je considère qu’il faut privilégier l’accompagnement, tout en menaçant d’exclure les acteurs les plus réticents au changement.

Guillaume Sainteny

Guillaume Sainteny

Président de GS Conseil

Anne Catherine HUSSON TRAORÉ, journaliste experte de la finance durable et Directrice Générale de Novethic, revient sur un des sujets clés : comment parvenir à une transition juste ? Quelles sont les différentes stratégies d’arbitrage ?

Orienter les choix de financement et d’investissement vers « l’impact positif »

La finance verte est une étiquette, mais que met-on derrière ? Il n’est pas toujours évident de savoir quels sont les produits qui vont réellement dans le sens d’une transformation sociale et écologique.

Jens Althoff

Jens Althoff

Directeur du bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll

Les outils permettant d’intégrer les dimensions climatiques et environnementales dans la finance commencent à se développer, avec notamment le label Greenfin, lancé lors de la COP21, ou encore la récente taxonomie verte, le référentiel européen de la finance durable. Mais ces outils sont d’une grande complexité du fait des mécaniques calculatoires à mettre en œuvre et des débats méthodologiques persistants. Se mettre d’accord sur ce qui est « vert » et ce qui ne l’est pas est un challenge difficile.

Une difficulté supplémentaire réside dans le fait qu’une même activité peut avoir à la fois des impacts écologiques positifs (« verts ») et négatifs (« marrons »). En outre, il n'existe pas d'indicateur qui prenne en compte l'impact à la fois environnemental et social. Il est donc nécessaire d’adopter une approche permettant d’avoir une vision de la performance globale d'une activité, afin de répondre à la question suivante : est-ce que les bénéfices l'emportent sur les dommages ?

Pour prendre en compte l’impact environnemental, sociétal et territorial dans ses décisions d’investissements ou pour l’octroi de crédits et pour flécher l’épargne de ses clients, La Banque Postale s’est lancé le défi de créer un Indice d’Impact Global. Le projet de construction de cet indicateur se fait dans une démarche ouverte, avec des académiques et d’autres parties prenantes. Les membres du COTEE suggèrent d’y associer également des économistes internationaux. Un des principaux écueils serait toutefois de créer un indicateur trop technique et opaque.

 

Il faut éviter d’arriver à une boîte noire incompréhensible. Ce qui donnera de la crédibilité à cet outil, c’est d’avoir une analyse très fine et multi-indicateurs mais de donner à voir des clés de lecture simplifiées aux clients.

Martin Serralta

Martin Serralta

Directeur du développement et de la prospective organisationnelle de l’institut des Futurs Souhaitables

En revanche, les membres du COTEE insistent sur l’importance d’en faire un outil à même de créer un véritable « effet de levier » vers une finance à « impact positif ».

L’indicateur doit être significatif non seulement pour la presse et les ONG, mais aussi pour les acteurs économiques. C’est un indicateur qui doit avoir une crédibilité opérationnelle. Il doit être signifiant par rapport à des opérations qui sont vraiment des opérations de transformation.

Lucile Schmid

Lucile Schmid

Vice-présidente de la Fabrique Écologique

Démocratiser l’accès à la finance à impact

Selon l’enquête annuelle du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) et Vigeo Eiris en 2020, 62% des épargnants français accordent de l’importance aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placement. Malgré tout, ils ne sont que 5% à investir dans des produits d’épargne prenant en compte ces considérations. Ce qui explique ce faible pourcentage est avant tout la crainte d’une perte de rentabilité. Or, l’investissement durable n’est pas forcément synonyme de moindre performance. Les membres du COTEE sont clairs : il s’agit d’une idée reçue, d’un mythe à déconstruire.

L’idée qu’investir durable serait synonyme d’un handicap de performance est une légende urbaine. On observe en général plutôt une surperformance. C’est davantage une question de formation du conseiller qu’une crainte logique du client qui ne veut pas y perdre.

Anne-Catherine Husson-Traoré

Anne-Catherine Husson-Traoré

Directrice Générale de Novethic

Déconstruire ces idées reçues passe notamment par la formation des conseillers. Sur le terrain, ils sont en première ligne, au contact direct des clients, d'où l'importance de leur rôle dans la sensibilisation des clients à la finance durable. Les conseillers sont le meilleur vecteur pour concrétiser l’ambition de la Banque Postale : celle de démocratiser la finance verte.

Le Groupe La Poste a toujours démocratisé les innovations, c’est-à-dire donné accès à tous, de manière universelle sur le territoire, à de nouveaux services. À une époque, cela a pu être le chèque, le livret d’épargne. La Banque Postale s’est donné comme mission de démocratiser la finance durable pour éviter que seules les CSP + puissent y avoir accès.

Diane Abrahams

Diane Abrahams

Directrice de la Stratégie, des Partenariats Transverses et de l’Innovation du Groupe La Poste

Comme le rappellent plusieurs membres du COTEE, La Banque Postale dispose d’atouts historiques et son image est très associée à une logique de bien commun et de service public. « Etre client de la Banque Postale, c’est déjà une démarche d’engagement ».

Elle a donc une véritable légitimité à proposer de façon proactive des solutions « vertes » et responsables alternatives. C’est ce qu’elle fait déjà depuis 2015 à travers, notamment, sa « gamme verte » qui propose des solutions de financement pour la rénovation énergétique de l’habitat, pour l’éco-mobilité ainsi que sa gamme ISR.

Mais si la légitimité de la Banque Postale semble faire consensus, comment faire de la pédagogie voire du « conseil » auprès de ses clients pour les inciter à changer de modèle sans devenir moralisateur ? Les membres du COTEE ont longuement débattu pour trouver quel chemin de crête adopter entre l’interpellation, l’incitation et le conseil.

Il est important d’éviter le côté moralisateur et de mettre en avant cette image de banque pour tous, y compris des plus démunis.

Michèle Cyna

Michèle Cyna

Présidente de la branche environnement du groupe Ginger et Présidente de BURGEAP et de ses filiales (CREDES, LECES, DELEO)

Enfin, alors que la Banque Postale est en train de compléter sa gamme vers les produits financiers responsables, et atteint aujourd’hui une série de produits qui couvrent à peu près tout le spectre, elle souffre encore d’un défaut de visibilité et de communication.

Adrienne Horel-Pages, Directrice de l'engagement citoyen de La Banque Postale, revient sur un des sujets majeurs abordés : comment démocratiser la finance durable ? Comment articuler l’offre et les attentes des particuliers ?

Cette après-midi d’échanges aura permis de montrer à quel point le sujet de la finance à impact est riche et complexe. Pour se positionner comme la banque de la transition juste, le COTEE invite La Banque Postale à intégrer la multi-dimensionnalité des sujets, tout en adoptant une approche pragmatique et un discours accessible et transparent. Elle doit savoir accompagner les transitions, ne pas être dans la radicalité tout en étant proactive. La Banque Postale doit déployer des solutions alternatives systématiques pour donner à ses clients les moyens d’agir et leur apporter des contenus pédagogiques.

A lire aussi